"Notre Europe"

Monsieur le Président du Bundestag,
Monsieur le Président fédéral,
Monsieur le Chancelier fédéral,
Mesdames, messieurs les Parlementaires,
et permettez-moi de saluer en particulier les Parlementaires français ici présents,

Merci, monsieur le Président, pour ce moment fort que ni mes compatriotes ni moi n’oublierons. Merci de m’avoir invité à m’exprimer devant la représentation allemande, ici, dans ce palais qui porte la marque des souffrances de votre pays mais qui, aujourd’hui éclatant de lumière, est l’image de l’Allemagne moderne.

Un demi-siècle durant, plaie béante au coeur de Berlin divisée, abîmée, le Reichstag, jamais reconstruit, demeurait comme le symbole de la douleur et de l’attente de tout un peuple. Comme le symbole d’une Europe déchirée. Et tout naturellement, quand l’Allemagne s’est retrouvée et, à sa suite, notre continent, alors la démocratie allemande s’est réinstallée ici, renouant les fils de l’Histoire, fermant enfin la tragique parenthèse.

Vous l’avez dit, je suis de ceux qui ont toujours espéré et toujours attendu le moment où l’Allemagne retrouverait son unité et sa capitale. C’est dire mon émotion d’être le premier chef d’Etat étranger à s’adresser, depuis cette tribune, à l’Allemagne tout entière ! L’Allemagne, notre voisin, notre adversaire d’hier, notre compagnon d’aujourd’hui ! L’Allemagne unie ! L’Allemagne chez elle !

Aujourd’hui, je pense à toutes celles et à tous ceux qui ont permis que s’accomplisse le rêve de générations d’Allemands. A ces hommes de conviction et de vision qui ont aidé leur peuple à croire en son avenir. A celles et ceux qui ont donné à la République fédérale, dans la ville des bords du Rhin qui l’avait accueillie, ses institutions et ses valeurs. A celles et ceux qui ont relevé le pays de ses ruines, rebâti et donné au monde, au prix de trésors d’intelligence, de travail, de sacrifices, le témoignage d’une extraordinaire réussite. A celles et ceux qui ont rendu à l’Allemagne sa place au premier rang des nations dans le monde.

Mais d’abord je pense aux hommes d’Etat qui, chez vous comme chez nous, ont engagé l’historique réconciliation de l’Allemagne et de la France. Quelle audace et quel courage il leur fallut, au lendemain même de la guerre, pour parler entre eux le langage de la confiance et de la coopération. Le prodige est aussi qu’à chaque étape essentielle, nos deux pays aient trouvé les hommes pour consolider le rapprochement et aller toujours plus loin.

Au départ, il y eut Konrad Adenauer et le Général de Gaulle qui surent répondre au rendez-vous de l’Histoire et ouvrir, je dirais même forcer, ce chemin que nous parcourons ensemble.

Je pense à Willy Brandt et à Georges Pompidou.

Je pense aussi à Helmut Schmidt et à Valéry Giscard d’Estaing qui ont fait grandir la solidarité franco-allemande et franchir de nouvelles étapes à l’Europe.

Enfin, je veux saluer ici Helmut Kohl et lui dire que l’oeuvre immense qu’il a accomplie avec François Mitterrand pour renforcer encore la cohésion et l’identité européennes reste gravée dans la mémoire des Français et des Européens.

Il y a bientôt quarante ans, le Général de Gaulle, en visite en République fédérale d’Allemagne, évoquait l’amitié franco-allemande et déclarait :

« Notre rapprochement puis notre Union, événements parmi les plus éclatants de toute l’Histoire, c’est afin d’agir ensemble que nous les avons engagés. L’union, pour qu’existe sur l’ancien continent un môle dont la puissance, la prospérité, l’autorité égaleront celles des Etats-Unis. L’union, encore, pour, le moment venu, permettre à toute l’Europe d’établir son équilibre, sa paix, son développement. L’union, enfin ajoutait-il et peut-être surtout, à cause de l’immense tâche de progrès humain qui s’impose au monde et dont la conjonction des valeurs de l’Europe, en premier lieu des nôtres, peut et doit être l’élément majeur ».

Mesdames et Messieurs, quarante ans ont passé. Largement réalisée, l’ambition demeure.

La prospérité d’abord. L’Union européenne est aujourd’hui la première puissance économique et commerciale du monde. C’est un géant de la recherche et de l’innovation. La coopération, l’émulation, la synergie franco-allemandes en ont été l’un des plus puissants moteurs. Aujourd’hui, à l’heure où se bâtissent des groupes de taille à l’emporter dans la grande compétition mondiale, Allemands et Français se tournent tout naturellement les uns vers les autres.

Nous avons franchi une étape historique avec l’adoption de l’Euro, projet lui aussi porté dès l’origine par le couple germano-français et qui est une réussite. Avec l’Euro, nous avons consacré l’unification du grand marché européen et nous nous sommes dotés d’un formidable accélérateur des échanges. Nous ancrons dans l’esprit de nos concitoyens leur appartenance à un même ensemble économique et, au-delà, politique et humain. Les Européens ont désormais leur monnaie.

L’équilibre, la paix, le développement de tout le continent ensuite. Le principal témoignage du succès de la construction européenne a été sans doute cette formidable force d’attraction exercée sur ceux des Européens restés si longtemps séparés de nous. La brillante réussite de l’Europe a rendu chaque jour plus absurdes et plus insupportables le maintien, à ses portes, de régimes totalitaires et la division de notre continent, et d’abord de l’Allemagne. L’Europe tout entière se souvient de ces heures magiques où, bravant le Mur de la honte, Berlinois de l’Est et de l’Ouest se sont rejoints, lançant aux peuples opprimés le signal de la liberté.
L’Europe enfin, militant et acteur du progrès dans le monde. Ce qui a réuni l’Allemagne et la France et leurs partenaires, c’est bien sûr l’aspiration profonde de leurs peuples à la paix. Mais c’est aussi, et peut-être d’abord, une certaine idée de l’homme, qui a donné au projet européen son horizon de liberté, de dignité, de tolérance, de démocratie. Voilà pourquoi l’appartenance à l’Union vaut adhésion sans réserve aux idéaux et aux valeurs qui la fondent.

Au-delà de ses frontières, l’Union européenne fait entendre sa voix. Elle plaide pour une organisation internationale des échanges plus équilibrée, attentive au mieux-être des individus et respectueuse de la diversité culturelle du monde. Elle plaide pour une véritable solidarité entre pays riches et pauvres et montre l’exemple par une politique active d’aide au développement. Elle plaide, et elle agit, en faveur de la paix et pour que cesse la barbarie.

Je pense bien sûr à notre engagement conjoint en Bosnie et au Kosovo, qui dit bien la signification profonde, pour vous comme pour nous, de notre projet européen. Cette exigence éthique qui nous rassemble et qui justifie à nos yeux que l’Europe, dans le respect de ses alliances, se donne désormais les moyens de poursuivre sa propre politique étrangère et de sécurité.

Ici, au Bundestag, je veux saluer la décision historique des Allemands qui, pour la première fois depuis plus d’un demi-siècle, ont accepté l’envoi de soldats sur un théâtre d’opérations extérieur. Ils l’ont fait au nom du respect de la dignité de chaque homme. L’engagement de l’Allemagne, son rang de grande puissance mondiale, son influence internationale, la France souhaite les voir reconnus par un siège de membre permanent du Conseil de Sécurité de l’Organisation des Nations Unies !

Mesdames, Messieurs, dans trois jours, la France prendra la présidence de l’Union européenne. Elle aura la responsabilité de faire aboutir des décisions qui engagent l’avenir. Je pense bien sûr à la première d’entre elles : la réforme, absolument vitale, de nos institutions communes que nous mènerons avec, je le sais, le soutien de nos partenaires allemands.

Elle devra faire progresser d’importants chantiers. Celui de la défense européenne. Nous espérons lui faire franchir de nouvelles étapes, à la mesure des progrès considérables accomplis en l’espace de quelques mois, notamment sous présidence allemande.

L’Europe, nous la voulons aussi plus proche des citoyens. Notre Union, chacun doit pouvoir en mesurer les bienfaits dans sa vie de tous les jours. Alors qu’aujourd’hui, beaucoup d’Européens, c’est vrai, la jugent un peu abstraite, trop éloignée de leurs vraies préoccupations que sont la croissance, l’emploi et la formation, la justice et la sécurité, la lutte contre le trafic de drogue et contre les filières d’immigration clandestine, l’environnement et la santé, d’autres encore. Dans tous ces domaines, le prochain semestre doit nous permettre d’avancer.

Mais, au-delà de ces échéances immédiates, la responsabilité qui nous incombe, à nous, membres fondateurs, est de poser sans cesse la question du sens et de l’avenir de l’Europe. De ne jamais laisser s’affaiblir notre volonté. Je salue l’esprit profondément européen qui a présidé ici, tout récemment, à la relance d’un débat dont les enjeux sont, au sens propre du mot, existentiels. Un débat qui engage nos nations et nos peuples, leur histoire et leur identité, et qui touche à l’organisation même de nos sociétés, à la volonté et à la capacité des Européens d’aller plus loin dans l’Union. Ce n’est pas rien ! Il est des moments où il faut savoir prendre des risques. Sortir des sentiers battus. La poursuite de la grande aventure communautaire est à ce prix !

Et je voudrais, ici, à Berlin, éclairer le chemin. Vous faire part de mes convictions. Ouvrir avec vous des perspectives.

Ma première conviction est que l’élargissement de l’Union européenne est une grande ambition légitime et nécessaire. Il est en marche. Ce sera difficile, pour les pays candidats comme pour les Etats membres. Mais, demain, nous serons trente et plus représentés à Bruxelles, à Strasbourg, à Luxembourg.

C’est un accomplissement ! Pour la paix et la démocratie, enracinées sur notre continent et qui donnent tout son sens à notre aventure commune. Pour les pays candidats, soutenus dans leur combat pour la liberté par l’espoir de nous rejoindre. Pour l’Union elle-même qui en sera plus forte, politiquement et économiquement.
Mais, pour autant, l’exigence est claire. L’élargissement ne sera pas une fuite en avant. Nous ne laisserons pas se défaire le projet européen auquel vous et nous, avec nos partenaires, avons, depuis près d’un demi-siècle, consacré tant de volonté et tant d’énergie. Et qui, en retour, nous a tant apporté, non seulement la paix, mais aussi le succès économique, et donc le progrès social. Qui s’est avéré, pour nous tous, un formidable multiplicateur de puissance. Notre Union ne sera plus tout à fait la même demain. Mais elle ne connaîtra ni dilution, ni retour en arrière. Et notre responsabilité est d’y veiller.

Une autre de mes convictions est que le rythme de la construction européenne ne se décrète pas. Il résulte, pour une large part, des progrès, parmi nos peuples, du sentiment d’identité et d’appartenance européennes, de leur « vouloir vivre ensemble » dans une communauté solidaire. Et j’ai confiance car ce sentiment est de plus en plus fort, surtout parmi les jeunes.

Enfin, je crois nécessaire d’éclairer le débat sur la nature de l’Union. C’est déformer la vérité de dire qu’il y a d’un côté ceux qui défendent la souveraineté nationale et, de l’autre, ceux qui la bradent. Ni vous ni nous n’envisageons la création d’un super Etat européen qui se substituerait à nos Etats nations et marquerait la fin de leur existence comme acteurs de la vie internationale.

Nos nations sont la source de nos identités et de notre enracinement. La diversité de leurs traditions politiques, culturelles, linguistiques est une des forces de notre Union. Pour les temps qui viennent, les nations resteront les premières références.
Envisager leur extinction serait aussi absurde que de nier qu’elles ont déjà choisi d’exercer en commun une partie de leur souveraineté et qu’elles continueront de le faire, car tel est leur intérêt. Oui, la Banque Centrale Européenne, la Cour de Justice de Luxembourg ou le vote à la majorité qualifiée sont des éléments d’une souveraineté commune. C’est ainsi, en acceptant ces souverainetés communes, que nous acquerrons une puissance nouvelle et un rayonnement accru. Alors, de grâce, renonçons aux anathèmes et aux simplifications, et convenons enfin que les institutions de l’Union sont et resteront originales et spécifiques !

Mais reconnaissons aussi qu’elles sont perfectibles et que le grand élargissement à venir doit être l’occasion d’approfondir la réflexion institutionnelle, au-delà de la Conférence intergouvernementale. Dans cette perspective, je souhaite que nous puissions nous entendre sur quelques principes.

D’abord, rendre l’Union européenne plus démocratique. La construction communautaire a trop été l’affaire des seuls dirigeants et des élites. Il est temps que nos peuples redeviennent les souverains de l’Europe. Il faut que la démocratie en Europe vive mieux, notamment à travers le Parlement européen et les parlements nationaux.

Ensuite, clarifier, mais sans la figer, la répartition des compétences entre les différents niveaux du système européen. Dire qui fait quoi en Europe avec le souci que les réponses soient apportées au meilleur niveau, au plus près des problèmes. Bref, mettre enfin en application le principe de subsidiarité.

Nous devons aussi veiller à ce que, dans l’Europe élargie, la capacité d’impulsion demeure. Sans cesse, il faut pouvoir ouvrir de nouvelles voies. Pour cela, et comme nous l’avons fait dans le passé, il faut que les pays qui veulent aller plus loin dans l’intégration, sur une base volontaire et sur des projets précis, puissent le faire sans être retardés par ceux qui, et c’est leur droit, ne souhaitent pas avancer aussi vite.

Enfin, l’Europe-puissance que nous appelons de nos voeux, cette Europe forte sur la scène internationale, doit disposer d’institutions fortes et d’un mécanisme de décision efficace et légitime, c’est-à-dire faisant toute sa place au vote majoritaire et reflétant le poids relatif des Etats membres.

Voilà, Mesdames et Messieurs, les grandes orientations selon lesquelles, je crois, doit s’engager le processus de refondation institutionnelle de l’Union. Le visage de l’Europe future reste encore à dessiner. Il dépendra du débat et de la négociation. Et bien sûr et surtout de la volonté de nos peuples. Mais nous pouvons d’ores et déjà tracer le chemin.

La première étape, incontournable, est la réussite, sous présidence française, de la Conférence intergouvernementale. Ne sous-estimons pas l’importance de cette conférence. Les quatre points essentiels de son ordre du jour, y compris le développement des procédures de coopération renforcée, permettront d’adapter les mécanismes de décision de l’Union à sa composition future. La réussite de la CIG est un préalable indispensable à tout progrès. Aussi, ni vous ni nous ne pourrions nous satisfaire d’un accord a minima, je dirais d’un accord au rabais, qui conduirait l’Union à la paralysie pour les années à venir !

Après la Conférence intergouvernementale, à la fin de l’année, s’ouvrira une période que je qualifierai de « grande transition » au terme de laquelle il faudra que l’Union soit stabilisée dans ses frontières et dans ses institutions. Nous devrons, pendant cette période, mener de front trois grands chantiers.

Celui, naturellement, de l’élargissement. Quelques années ne seront pas de trop pour conclure les négociations d’adhésion et assurer l’intégration réussie des nouveaux Etats membres.

C’est aussi de l’approfondissement des politiques, à l’initiative de ces pays que j’évoquais tout à l’heure et qui souhaitent aller plus loin ou plus vite. Rassemblés avec l’Allemagne et la France, ils pourraient se constituer en un « groupe pionnier ». Ce groupe ouvrirait la voie en s’appuyant sur la nouvelle procédure de coopération renforcée définie par la CIG et en nouant, si nécessaire, des coopérations hors Traité, mais sans jamais remettre en cause la cohérence et l’acquis de l’Union.

C’est de cette façon, naturellement, que se dégagera la composition du « groupe pionnier ». Non pas sur une base arbitraire, mais par la volonté des pays qui décideront de participer à l’ensemble des coopérations renforcées. Je souhaite ainsi que, dès l’an prochain, le « groupe pionnier » puisse s’atteler, notamment, à une meilleure coordination des politiques économiques, à un renforcement de la politique de défense et de sécurité et à une plus grande efficacité dans la lutte contre la criminalité.

Faut-il que ces Etats concluent entre eux un nouveau Traité et se dotent d’institutions sophistiquées ? Je ne le crois pas. Soyons conscients que ce serait ajouter un niveau supplémentaire à une Europe qui en compte déjà beaucoup ! Et évitons de figer des divisions de l’Europe alors que notre seul objectif est de préserver une capacité d’impulsion. Il faudrait plutôt envisager un mécanisme de coordination souple, un secrétariat chargé de veiller à la cohérence des positions et des politiques des membres de ce groupe pionnier, qui devrait rester naturellement ouvert à tous ceux qui souhaitent le rejoindre.

Ainsi l’Europe, dans cette période de transition, continuera-t-elle d’avancer pendant que sera menée la préparation de la refondation institutionnelle.

En effet, et c’est notre troisième chantier, je propose que, dès après le sommet de Nice, nous lancions un processus qui nous permette, au-delà de la CIG, de répondre aux autres questions institutionnelles qui se posent à l’Europe.

D’abord, réorganiser les traités afin d’en rendre la présentation plus cohérente et plus compréhensible pour les citoyens. Ensuite, définir de façon claire la répartition des compétences, vous l’avez souligné, Monsieur le Président, et vous avez raison, des compétences entre les différents niveaux de l’Europe. Nous pourrions également réfléchir, dans le cadre de ce processus, aux frontières géographiques ultimes de l’Union ; préciser la nature de la Charte des droits fondamentaux que, je l’espère, nous aurons adoptée à Nice ; et enfin préparer les ajustements institutionnels nécessaires, tant du côté de l’exécutif que de celui du Parlement, pour renforcer l’efficacité et le contrôle démocratique de notre Union.

Cette réflexion préparatoire devra être conduite de façon ouverte, en associant les gouvernements et les citoyens, à travers leurs représentants au Parlement européen et dans les Parlements nationaux. Les pays candidats devront naturellement y prendre part. Plusieurs formules sont envisageables, du Comité des sages à un modèle inspiré par la Convention qui rédige notre Charte des droits fondamentaux.

Et, à l’issue de ces travaux qui prendront sans doute quelque temps, les gouvernements puis les peuples seraient appelés à se prononcer sur un texte que nous pourrons alors consacrer comme la première « Constitution européenne ».
Mais pour que la construction européenne avance, c’est d’abord l’amitié franco-allemande que nous devons approfondir sans cesse.

Nos coopérations si nombreuses, si familières, l’étroite concertation politique à tous les niveaux de nos institutions, le riche dialogue de nos cultures, les échanges entre jeunes à la faveur de nos milliers de jumelages comme de nos apprentissages linguistiques, ont tissé un lien unique, irréversible, irremplaçable.

Voici plus d’un demi-siècle que nous travaillons la main dans la main. Entre nous, la réconciliation est acquise. Elle est une évidence. Une réalité de la vie quotidienne si normalement inscrite dans notre paysage que nous n’en percevons plus la dimension propre. Et la nouvelle génération aux commandes la reçoit en héritage après l’avoir apprise dans les livres, sans ressentir la même charge émotionnelle que jadis. Eh bien, retrouvons le souffle, l’élan fondateur ! L’ardente nécessité de notre dialogue ! Donnons-nous les lieux pour se connaître et entreprendre ensemble !

Et c’est ce que j’observais depuis hier, dans les rues de Berlin, en voyant si nombreux les Allemands qui, avec le sourire, faisaient dans notre direction un geste spontané d’amitié, celui du coeur, que l’on ne retrouve pas souvent dans les voyages officiels, et qui m’a beaucoup touché.

Que de traits communs, que de raisons de se porter plus d’attention ! Si nous avons chacun nos traditions, notre histoire, nos qualités propres, qui expliquent sans doute les formes d’organisation que nous nous sommes choisies. Si l’Allemagne est à l’aise dans son fédéralisme qui permet une participation active et vivante des citoyens à tous les niveaux de la vie politique. Et si la France a su conserver, en la modernisant, une tradition unitaire qui contribue à la cohésion de sa communauté nationale, les défis que nous devons relever aujourd’hui sont les mêmes. Ils s’appellent croissance économique et compétitivité, mutations de notre système éducatif, défense de l’emploi, adaptation de nos régimes sociaux à l’évolution démographique, modernisation et maîtrise des systèmes de santé, de sécurité, d’environnement, d’immigration. Il suffirait de parcourir l’ordre du jour de vos assemblées et des nôtres, de suivre parallèlement les débats qui passionnent aujourd’hui nos deux pays, pour mesurer l’intime parenté de nos problèmes et des attentes de nos peuples.

Il nous manque encore, me semble-t-il, ce lieu privilégié où les responsables politiques, économiques, syndicaux associatifs, représentants des médias, personnalités du monde culturel pourraient facilement se retrouver. Où l’Allemagne et la France en mouvement, avec leurs débats, leurs interrogations, leurs aspirations, se rencontreraient dans toutes leurs composantes. Et je propose qu’une Conférence germano-française les réunisse chaque année. Ce serait le grand rendez-vous de nos deux pays où Allemands et Français embrasseraient l’avenir ensemble.

Le monde de l’économie a connu, ces derniers mois, des progrès spectaculaires. Nos grandes entreprises ont noué de nouvelles et puissantes solidarités dans les domaines clés de l’aéronautique, de la chimie, de l’énergie, de l’assurance, des services. Hier soir, le Chancelier Schröder et moi-même nous avons rencontré leurs dirigeants.

Je crois que notre priorité doit être d’encourager davantage encore cette forte dynamique d’intégration entre nos potentiels économiques et faire du tandem franco-allemand le moteur d’un puissant pôle industriel européen. Et j’appelle nos milieux économiques, avec naturellement l’appui de nos deux gouvernements, à créer une Fondation où dirigeants et cadres, Allemands et Français, pourraient se rencontrer et mieux connaître -c’est peut-être ce qui nous manque le plus- la culture d’entreprise en vigueur chez l’autre.

Cet esprit de partenariat, nous devons le développer aussi dans les disciplines de l’esprit. Je salue la qualité comme l’importance du dialogue entre nos penseurs, nos artistes. Mais j’ai la conviction que nous pouvons lui faire gagner en intensité, en solidarité aussi à l’heure où nous devons mener ensemble la grande bataille pour la diversité culturelle dans le monde.

A votre initiative, Monsieur le Chancelier, nous avons désormais notre Académie franco-allemande du cinéma, dont la première session s’est tenue hier, en notre présence. Dans le même esprit, nous avons engagé une réflexion commune sur l’avenir du livre et sur l’évolution des médias.

Rendons à nos artistes, à nos écrivains, le goût et les moyens de composer et de créer chez l’autre, renouant ainsi avec la prestigieuse tradition européenne du voyage et de l’immersion. Et je propose la création à Berlin, à l’image de ce qui existe à Rome ou à Madrid, d’un lieu où nos créateurs, qui souhaitent chercher l’inspiration dans cette ville en plein renouveau, soient accueillis et trouvent les conditions propices à leur réflexion.

Nous devons cultiver cet esprit de dialogue entre nos peuples en favorisant l’apprentissage de nos langues respectives. Je voudrais, en saluant les membres du Bundesrat ici présents, féliciter tout particulièrement les autorités des Länder qui se sont engagées avec détermination dans cette voie et ont pris des décisions exemplaires. Pour notre part, nous veillerons à ce que la langue allemande garde son statut d’excellence et son rang parmi les toutes premières langues vivantes étrangères enseignées.

Enfin je propose qu’ensemble, en cette année symbolique, nous accomplissions un geste fort en direction de notre jeunesse, en invitant 2000 de nos collégiens et lycéens à conclure leur première année d’apprentissage linguistique par un séjour de découverte du pays, des traditions, de la culture du peuple dont ils ont choisi la langue.

Monsieur le Président du Bundestag,
Monsieur le Président fédéral,
Monsieur le Chancelier fédéral,
Mesdames, messieurs les Parlementaires,
Ce que l’Allemagne et la France ont vécu et subi dans l’Histoire ne ressemble à rien d’autre. Mieux qu’aucune nation, elles saisissent le sens profond de la paix et du projet européen. Elles seules, en forçant le cours des choses, pouvaient, en Europe, lancer le signal du rassemblement. Ensemble, au rythme de leurs retrouvailles et de la volonté de leurs peuples, elles ont fait progresser l’idée européenne.
Elles seules peuvent accomplir les gestes qui porteront l’Europe plus loin, dans ses ambitions, dans ses frontières comme dans les coeurs. Qui feront de l’Union ce grand espace de paix, de droits et de libertés, ce foyer de l’esprit digne de son héritage, cette terre que nos citoyens aimeront habiter, cultiver, faire rayonner ensemble.
Vive l’Allemagne ! Vive la France ! Et vive l’Union européenne !

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