Le couple franco-allemand

71ème Sommet franco-allemand à Avignon (7 mai 1998) - Conférence de presse conjointe


LE PRÉSIDENT
- Mesdames, Messieurs, je vous remercie de l’intérêt que vous portez à ce 71ème sommet franco-allemand, qui est suivi par un nombre particulièrement important de représentants de la presse. Je voudrais remercier également la ville d’Avignon et son maire, Madame ROIG, pour l’accueil qui nous a été réservé et notamment pour le soleil.
Avant de passer la parole au Chancelier, je voudrais indiquer que nous avons ensemble, tout à l’heure, félicité au téléphone notre collègue Wim KOK pour le brillant résultat des élections en Hollande, hier. D’autre part, nous avons exprimé notre solidarité, notre sympathie et notre amitié à notre collègue, Monsieur PRODI, à la suite des événements dramatiques qui se sont passés en Italie et qui ont déjà fait à la suite de coulées de boue, semble-t-il, plus de 40 morts.

Ce 71ème sommet franco-allemand s’est tenu à un moment tout à fait capital dans l’histoire de la construction européenne, puisqu’il s’est tenu au lendemain de la décision historique de la création de l’euro, et la construction européenne qui doit beaucoup, énormément, à l’entente et l’impulsion franco-allemandes.

Avant de dire quelques mots sur ce que nous avons fait, je vais peut-être d’abord demander au Chancelier de nous dire comment il ressent ce moment.

M. KOHL - Monsieur le Président de la République, Monsieur le Premier ministre, Mesdames et Messieurs, tout d’abord, j’aimerais pour ma part et au nom de la délégation allemande remercier du fond du coeur la ville d’Avignon pour l’accueil qui nous a été fait. J’aimerais remercier également la population de la ville et les responsables de la ville et, avant tout, Madame le Maire, bien sûr. La chaleur de cet accueil n’était pas dû à des raisons diplomatiques, c’était vraiment une chaleur qui venait du fond du coeur, et qui est très importante pour la coexistence et la coopération entre nos peuples.

Je tiens également à remercier expressément le Président de la République d’avoir répondu favorablement à mon souhait de nous réunir aujourd’hui et hier à Avignon. Avignon est une ville magnifique. Le Palais des Papes d’Avignon est chargé d’histoire, chaque pierre de ce Palais respire l’histoire, et aujourd’hui nous avons de très bonnes raisons -j’insiste sur ce point- étant donné la situation économique, étant donné le chômage qui sévit dans nos pays, en Europe, étant donné également les questions qui se posent au plan économique et social, nous avons de très bonnes raisons de nous réunir.

Nous avons pris à Bruxelles une décision décisive, une décision capitale, la naissance de l’euro, et il est donc très important de bien se dire que cette Europe a également une dimension culturelle, une dimension culturelle très importante. Evidemment, le pain c’est important, mais il n’y a pas que cela dans la vie, et en Europe, à l’heure actuelle, la construction de la maison Europe et l’élément culturel dans cette construction ne doivent pas être oubliés.

J’adresse également mes remerciements au Premier ministre et aux ministres du Gouvernement français, au nom également de mes collaborateurs et des ministres de mon gouvernement, et je remercie tous ceux qui ont participé à l’organisation de ce sommet. Etant donné la situation politique du moment, étant donné les commentaires que l’on entend en France et en Allemagne à l’heure actuelle, j’aimerais dire quelques mots de l’amitié franco-allemande.

L’amitié franco-allemande est l’un des grands éléments de l’évolution de l’Europe au cours de la deuxième moitié de ce siècle, et je voudrais la saluer. Depuis 1950, depuis la création de République fédérale en 1949, tous ceux qui connaissent l’histoire savent bien que le parcours a été long, qu’il a été difficile, qu’il a été plein d’obstacles qu’il a fallu franchir. Mais ce cheminement nous a menés vers un avenir que nous n’aurions jamais pu imaginer à l’époque. Les hommes et les femmes qui se sont lancés dans l’aventure étaient des visionnaires. Et je trouve qu’il est bon de rappeler cette réalité à notre souvenir. Ces visionnaires de l’époque étaient en fait des réalistes. Aujourd’hui, c’est quelque chose de très sensible. Nous sommes devenus des amis au cours de toutes ces années, non pas parce que nous y étions obligés par tel ou tel contrat, par tel ou tel traité, pas du tout -certes les traités sont importants- mais les Français et les Allemands sont devenus pas seulement à l’échelon gouvernemental - les gouvernements passent, mais les populations restent- nous sommes devenus amis parce que nous nous sommes rendu compte que les erreurs de l’histoire ne devaient pas se renouveler. Nous nous sommes rendu compte que, à deux ans de la fin du siècle, nous devions nous engager ensemble dans le siècle à venir.
Concrètement, qu’est-ce que cela signifie ? Eh bien, cela signifie qu’entre amis on doit se parler franchement, qu’on doit essayer de se compléter, de se comprendre mutuellement, de faire preuve d’assistance, de compréhension à l’égard de l’autre, et c’est bien là-dessus que repose l’amitié franco-allemande. C’est ainsi que nous sommes parvenus à atteindre des objectifs remarquables. Nous avons devant nous également des objectifs très ambitieux, nous devons essayer de les atteindre ensemble. Parfois, cela suscite des malentendus en Europe : lorsqu’on lit la presse, on entend parler de l’axe France-Allemagne ou de l’axe Allemagne-France. C’est un terme qui est très marqué par l’histoire, ce terme d’axe, et que je préfère éviter dans ce contexte. Et puis il y a d’autres commentateurs, des intellectuels, des philosophes, qui eux penchent plutôt pour l’hypothèse de l’hégémonie dans leurs commentaires, et cela aussi est, à mon avis, tout à fait erroné. Le tandem franco-allemand, pour l’appeler comme cela, pour utiliser un terme du jargon sportif, du jargon cycliste, le tandem, lorsqu’il fonctionne, les gens disent : oh, cela y est, les Français et les Allemands essaient de décider pour les autres. Et si cela ne marche pas, on nous dit : vous ne remplissez pas la mission historique qui vous incombe. Alors, il faut savoir.

Nous sommes entrés maintenant dans un nouveau chapitre de l’histoire européenne, nous sommes confrontés à des décisions extrêmement importantes pour les années à venir, d’ici quelques semaines, nous disposerons du rapport de la Commission relatif au financement du budget communautaire pour les années à venir. Il y a également l’élargissement qui est à l’ordre du jour, l’agenda 2000 et beaucoup d’autres sujets.

C’est pourquoi il est tout à fait clair, et c’est ce qu’a bien montré ce 71ème sommet franco-allemand, il est tout à fait clair que c’est quelque chose de normal pour nous que de travailler ensemble. Alors parfois il y a des divergences, certes, et lorsqu’on vit en Allemagne, comme moi, on sait très bien que les différences existent entre les partis politiques mais également entre les régions, par exemple, et il faut faire avec. Pour résumer d’un mot, je dirai que les relations franco-allemandes ne sont pas seulement intactes, elles sont excellentes, et je tiens à le souligner tout particulièrement aujourd’hui.

Notre rencontre a été consacrée avant tout bien sûr à la politique européenne, à l’introduction de l’euro, qui représente une avancée importante. Nous en avons beaucoup parlé, et nous nous sommes dit également que, si nous voulions faire de notre entreprise conjointe, une entreprise solide, il fallait qu’elle soit au niveau des autres, qu’elle soit comparable avec d’autres. Nous nous sommes mis d’accord, ce qui est très important, pour dire que, dans le cadre du prochain sommet européen à Cardiff les 15 et 16 juin, nous serions à nouveau à l’origine d’une initiative franco-allemande, comme il y en a déjà eu par le passé.
L’objectif est que le point numéro 1 de l’ordre du jour soit une discussion extrêmement ouverte concernant l’avenir et la forme que prendra à l’avenir l’Union européenne. Nos discussions, nos réflexions se concentreront avant tout sur la définition de l’utilisation du principe, et la garantie du principe de subsidiarité, à l’heure actuelle et à l’avenir. La subsidiarité, pour moi, cela signifie que les décisions en fait qui se prennent en Europe doivent se prendre le plus près possible du citoyen. Ce qui signifie que ce que l’on fait à Bruxelles, ce que l’on décide Bruxelles, doit se faire à Bruxelles uniquement quand cela ne peut pas être mieux fait à l’échelon national ou régional. Et à l’inverse, la compétence nationale et la compétence régionale des Länder en Allemagne ne doivent pas oublier toutes les possibilités qui existent. Nous devons nous assurer que tout ce qui a été fait en matière de subsidiarité correspond à nos objectifs initiaux. Il faut bien savoir qu’en matière de politique sociale pour les différents pays, il va y avoir des bouleversements considérables à l’avenir. Nous tenons donc à lancer une initiative conjointe pour qu’il soit possible, au moment de prendre les décisions du futur, de prendre ces décisions-là à un échelon le plus près possible du citoyen. C’est important non seulement en Allemagne mais également dans les autres pays d’Europe, il faut que les gens voient l’Europe comme quelque chose qui leur est proche, et cela également à un échelon personnel, à un échelon sentimental, il ne faut pas que, pour eux, l’Europe soit une entité abstraite, loin d’eux. Nous avons travaillé à une proposition que nous ferons dans ce sens, le Président de la République et moi-même. Nous ferons un courrier à nos homologues, c’est ce qui s’est déjà fait à plusieurs reprises par le passé.

Il y a un autre sujet qui a été largement abordé par nos collaborateurs et également par le Premier ministre, le Président de la République et moi-même au cours de nos entretiens, c’est la question de l’industrie aéronautique en Europe. Nous en avons beaucoup parlé, vous connaissez la décision qu’ont prise les Américains avec la création de cette énorme groupe autour de Boeing. Lorsque nous pensons à l’avenir, si nous voulons nous maintenir sur le marché mondial, tant dans le domaine civil que dans le domaine militaire aéronautique, nous devons pouvoir répondre aux Américains. Je pense que si chacun faisait cavalier seul du côté de l’Allemagne, du côté de la France, du côté du Royaume-Uni, cela fonctionnerait beaucoup moins bien. Il faut nous unir, il y a les Italiens, les Espagnols et depuis peu également les Suédois qui sont prêts à nous rejoindre, et je dois dire qu’il y a urgence sur cette question. On ne peut pas remettre cela à plus tard, il faut que cela se fasse très prochainement. Alors, comment voyons-nous les choses au cours de l’été à venir ? Nos collaborateurs vont se rencontrer pour peaufiner le sujet ; au cours du prochain sommet franco-allemand, nous pourrons certainement faire un rapport beaucoup plus précis et aborder également la question avec nos partenaires européens.

Autrement dit, Mesdames et Messieurs, je suis tout à fait ravi des résultats de cette rencontre -c’est le message que je tiens à faire passer tant en France qu’en Allemagne- et elle était tout à fait conforme à l’esprit de la relation franco-allemande.

LE PRÉSIDENT - Je n’ai pas besoin de dire que j’adhère tout à fait à l’analyse et aux propos du Chancelier, auxquels j’ajouterais tout de même une remarque : c’est que la vision d’Helmut KOHL de l’Europe a profondément marqué l’histoire de la construction européenne, et notamment par les décisions qu’il a été conduit à prendre dans tous les moments décisifs, importants, de la construction européenne. Je voudrais lui en exprimer naturellement notre reconnaissance. C’est vrai qu’à la base de tout cela, il y a eu la réconciliation franco-allemande et que cette réconciliation est un élément qui aura permis d’engager un processus permettant d’enraciner dans l’Europe élargie, qui a vocation à s’élargir, à la fois la paix et la démocratie.

Nous avons donc évoqué l’ensemble des problèmes qui sont devant nous, car il y a encore un certain nombre d’étapes et nous aurons besoin, longtemps encore, de la vision du Chancelier KOHL pour conduire avec la France l’impulsion nécessaire à la poursuite de la construction européenne. Nous avons évoqué dans cet esprit à la fois l’élargissement, naturellement, l’agenda 2000, cela va de soi, les problèmes qui sont liés également à nos institutions. Mais je voudrais souligner une chose qui est importante à mes yeux et que le Chancelier vient d’évoquer. Le sujet que nous avons abordé le plus longuement, et notamment hier soir et ce matin, concerne notre vision de l’Europe.

Nous venons de franchir une étape, après d’autres, c’est celle de la monnaie commune, de la monnaie unique européenne. C’est une étape tout à fait essentielle mais il y a d’autres étapes et, pour les franchir, il faut bien les analyser, les déterminer ; pour les déterminer il faut avoir une vision des choses et une vision commune franco-allemande. Nous avons constaté, avec le Chancelier, une très, très large convergence de vues, une vraie réflexion commune sur ce que doit être l’Europe de demain, et donc ses institutions, et donc les prochaines étapes.
Nous voulons construire une Europe, que j’appelle, pour ma part, l’Europe des Etats et que le Chancelier -parce que les choses sont toujours ambiguës lorsqu’on les traduit d’une langue à l’autre- appelle une Europe fondée sur l’identité de chacune de nos Nations. Le Chancelier exprime d’ailleurs cette vision par un triptyque qui n’est pas facile à traduire en Français mais je m’y essayerai quand même -il m’excusera si la traduction n’est pas excellente-, il dit : racines locales, patrie, Europe.

Pour nous cela veut dire qu’il faut maintenant, et en priorité, bien préciser les conséquences dans l’avenir, d’une part des autorités locales, d’autre part des étapes et enfin des autorités européennes, ceci sur la base d’un principe qui doit être beaucoup mieux explicité, cerné, qui est le principe de subsidiarité. Certes, cela a une implication interne pour chacun des Etats qui composent l’Europe et cela doit conduire à la poursuite, chez chacun de nous, des politiques adaptées à chacun de nos pays en matière de décentralisation et de déconcentration, car le principe de subsidiarité n’est pas seulement un principe européen, il doit être aussi appliqué dans chacun de nos pays. Mais cela veut dire, sur le plan européen, que les décisions que l’on peut prendre de façon plus efficace, plus logique, dans le contexte mondial d’aujourd’hui, doivent être prises au niveau européen, mais que les décisions qui à l’évidence relèvent de chacun des pays qui composent l’Union, doivent être prises au niveau de chacun de ces pays.

C’est une question que nous souhaitons voir examinée et approfondie au Conseil Européen de Cardiff. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de prendre une initiative commune. C’est-à-dire de préparer, dans les jours qui viennent, une lettre commune à la présidence britannique, naturellement, et à l’ensemble de nos partenaires de l’Union européenne pour essayer de bien cadrer cette réflexion commune sur l’Europe et la mise en oeuvre claire de ce principe de subsidiarité qui est, je pense, un préalable à une réforme institutionnelle et à la poursuite de la construction européenne.

Par ailleurs, nous avions, hier soir à l’occasion du dîner, et aujourd’hui, évoqué nos vues sur les relations transatlantiques, notamment dans le domaine stratégique et commercial ; nous voulons renforcer, naturellement, les liens transatlantiques et, en même temps, nous voulons renforcer l’Europe.

Nous avons également évoqué certaines questions internationales qui nous touchent de très près, je pense en particulier aux affaires du Kosovo, de Bosnie, au processus de paix au Proche-Orient. Dans tous ces domaines, nos vues sont extrêmement proches, pour ne pas dire identiques.

J’ai été frappé, tout à l’heure, en présidant la réunion de travail élargie, d’entendre les ministres français -puisque le Sommet ayant lieu en France c’est eux qui rapportaient- et la plupart de leurs homologues allemands répondre : "nous sommes" ou "je suis, tout à fait d’accord avec ce qu’a dit mon collègue". Sur le plan bilatéral nous avons effectivement insisté sur l’importance de notre coopération dans un certain nombre de domaines : le domaine industriel, notamment la construction d’un pôle aéronautique européen qui a fait d’ailleurs l’objet d’un entretien approfondi, et aussi le domaine de l’industrie des télécommunications, et de l’industrie du nucléaire.

Enfin, je suis heureux que l’on ait pu trouver une solution -entre autres entre les ministres de la Justice- à un problème douloureux, qui est celui des enfants de couples franco-allemands divorcés, et qui, au-delà des conséquences du divorce, notamment du divorce entre un père et une mère de nationalités différentes, étaient tiraillés par des jugements qui pouvaient être contradictoires. Cela ne faisait naturellement qu’augmenter la situation difficile, la peine, les drames, les douleurs de ces enfants. Je suis donc heureux que les ministres de la Justice aient pu trouver un accord pour -au moins sur le plan juridique et sur le plan des tribunaux- faciliter considérablement les problèmes ainsi posés.
Voilà comment s’est passé ce Sommet.

Monsieur le Premier Ministre, est-ce que vous voulez ajouter quelque chose ?

LE PREMIER MINISTRE - Monsieur le Président de la République, Monsieur le Chancelier, sans rentrer dans le détail des entretiens qui ont eu lieu entre les ministres et qui ont été rapportés devant la plénière, mais en m’inscrivant pleinement dans l’esprit qu’inspiraient les propos du Chancelier KOHL à l’instant et les vôtres mêmes, Monsieur le Président, je voulais dire que dans l’entretien que nous avons eu ce matin, le Chancelier et moi, nous avons insisté sur la profondeur de la relation franco-allemande, sa permanence.

A propos du Conseil récent qui s’est tenu à Bruxelles, nous avons pensé, le Chancelier et moi, qu’il fallait que nous veillons, devant l’immense médiatisation que représentent ces événements, en particulier lorsqu’il y a des décisions aussi importantes que la création de l’euro, qui est quand même la décision fondamentale de ce Conseil, que nous devions veiller à la préparation technique de ces conseils pour que les choses avancent comme elles doivent avancer.

Nous avons consacré la partie la plus importante de notre entretien, comme vous l’avez dit, Monsieur le Président de la République, aux perspectives de l’industrie européenne dans le domaine de l’aéronautique, et la volonté de réaliser l’intégration à partir d’Airbus, pour ce qui concerne le civil, à partir de nos industries militaires nationales, en ce qui concerne l’industrie militaire, de réaliser l’intégration de ces potentiels industriels dans un grand ensemble européen.
Cette volonté a été réaffirmée, elle l’avait été par les déclarations qui nous avaient été communes avec Monsieur Tony BLAIR, elle l’a été par le travail des industriels, et nous devons maintenant avancer plus vite avec une double volonté et peut-être la recherche d’une double garantie. D’un côté, nous devons veiller à ce que ces entreprises et ce futur groupe européen travaillent en respectant pleinement les règles des entreprises ouvertes à la compétition mondiale et se déterminant selon des critères économiques. D’un autre côté, à partir du moment où l’objectif est de constituer, dans la bataille aéronautique mondiale, un ensemble européen, nous devons veiller à ce que nos volontés nationales, se conjuguant dans un objectif européen, restent bien à chaque moment respectées, et que les déterminations qui seraient prises sur des bases purement capitalistiques ne nous détournent pas de cet objectif fondamental.

Cela est absolument essentiel pour la France, bien-sûr, mais l’est tout à fait pour l’Allemagne tel que j’ai entendu le Chancelier KOHL s’exprimer. C’est donc ce deuxième objectif que nous devons poursuivre. C’est dans cet esprit, donc, que nous allons continuer à travailler, à la fois le gouvernement, les ministres compétents et puis les autorités publiques françaises et allemandes.

Pour le reste, nous avons parlé également, des perspectives d’Agenda 2000, également du dialogue transatlantique. Nous souhaitons explorer toutes les possibilités d’un dialogue entre les Etats-Unis et l’Europe mais nous souhaitons, à chaque fois que cela doit être fait, que cela se fasse sur la base d’un mandat précis, définit par le Conseil, c’est-à-dire par les gouvernements.

Je crois que sur cette vision des choses, là-encore, entre le gouvernement allemand et le gouvernement français, les autorités françaises, l’accord est complet, c’est dans cet esprit donc, que nous travaillons.

LE PRÉSIDENT - Voilà. Y-a-t-il des questions ?

QUESTION
- Je voudrais savoir si, au fond, quand même, vous n’avez pas un petit pincement au coeur, un peu de nostalgie, parce que le prochain Sommet, c’est dans six mois. Entre temps les Allemands vont voter. Et si c’était votre dernier sommet franco-allemand ?

LE PRÉSIDENT - C’est ce que j’appelle une question " délicate ".

M. KOHL
- Ce n’est pas du tout une question délicate. C’est une question que ne me paraît pas du tout délicate, franchement. C’est une question tout à fait naturelle, puisqu’effectivement, d’ici le prochain sommet, il y a une élection. Vous lisez beaucoup les journaux, je suppose, vous regardez la télévision allemande, vous voyez se propager à l’horizon des figures, des personnages, vous me regardez. J’ai l’habitude depuis longtemps d’être vu, et je crois qu’il faut garder cette habitude de me voir. Je serai encore là pendant un moment.

LE PRÉSIDENT - Je le souhaite.

QUESTION
- Monsieur le Président, vous avez beaucoup insisté sur l’aspect Europe des Nations. Vous avez expliqué à Bruxelles que c’était ce qui justifiait votre lutte, votre combat pour obtenir une décision favorable à un président français de la Banque centrale européenne. Que reste-t-il à ce moment-là d’une Europe avec un vote à la majorité qualifiée pour la réforme des institutions à venir. Est-ce que cela n’est pas antagoniste ?

LE PRÉSIDENT - Ce n’est pas du tout antagoniste. Il y a des sujets qui doivent être traités en raison de leur importance par des décisions à l’unanimité, et il en est d’autres qui peuvent être traités par des majorités qualifiées. Il appartient à nos États de choisir ce qui rentre dans l’une ou l’autre catégorie. Je ne vois pas de contradiction.

M. KOHL - J’aimerais également dire quelque chose à ce sujet. D’abord, il y a une partie de votre question qui est réglée par le traité d’Amsterdam. Dans le traité d’Amsterdam, il est dit très précisément quelles décisions doivent être prises, comment. C’est le droit international, c’est le traité. A partir de là, je crois qu’il faut bien comprendre que, ce que nous souhaitons, Jacques CHIRAC et moi, faire avec notre courrier commun à l’Union, ce n’est n’est pas une renationalisation des compétences. Ce que nous voulons, c’est que ce qui sera fait en Europe soit toujours fait dans le meilleur intérêt des citoyens. C’est quelque chose d’évident. Comment voulez-vous, face à la responsabilité que nous avons vis-à-vis des générations futures, protéger l’environnement si chacun fait cela chacun de son côté, au plan national ?

Vous pouvez prendre l’exemple du Rhin. Le Rhin arrive de Suisse, il entre en Allemagne par le lac de Constance, il longe la France, l’Allemagne, les Pays-Bas. En 1866-67, on a conclu à Mannheim un traité réglant l’organisation du Rhin. Il y avait donc à l’époque des gens tout à fait intelligents qui pensaient organiser tout cela. Aujourd’hui, les choses ont évolué. On parle maintenant de la protection de la couche d’ozone de l’atmosphère. Il y a des décisions qui doivent être prises au plan communal, au plan régional. Mais en matière d’environnement, il y a évidemment une dimension nationale à prendre en compte, et il y a aussi une dimension européenne. D’ailleurs, il faudrait aussi qu’il y ait une dimension beaucoup plus mondiale dans la politique de l’environnement, parce que ce qui s’est passé au Japon, ce qui a été décidé à Kyoto, cela montre bien l’intérêt de cette politique mondiale en la matière. On a fait avancer Rio. Et il faut bien voir d’où nous venons, voir le chemin parcouru.

Un exemple qui intéresse nos amis français : la nuit d’Amsterdam, il y a eu un débat animé, vif, concernant les décisions qui devaient être prises à la majorité ou le principe de l’unanimité pour le droit d’asile. On me dit que je suis un Européen convaincu, et pourtant je me suis opposé. Pourquoi ? Parce qu’il y avait des chiffres à prendre en compte la nuit de cette décision. Et à ce moment-là, en Allemagne, nous avions 120 000 demandeurs d’asile par an, alors que le reste de l’Union en avait 90 000 au total. Donc cela crée une réaction et il faut bien veiller à ce que les décisions ne soient pas prises en dehors de ce qui nous intéresse. Donc, ce n’est pas un problème de renationalisation. Il est évident que les intérêts des collègues à Dublin ne sont pas les mêmes sur cette question que les intérêts des Allemands. Il est logique de prendre en compte cette responsabilité nationale, tout en restant européen.

Je crois que ce que nous allons défendre dans notre projet commun, c’est que l’idée de l’Europe, cela ne doit pas être un fantôme, cela doit servir aux gens, aux citoyens. L’année prochaine, il y aura des élections au Parlement européen. Ces élections au Parlement européen, si nous voulons qu’elles conduisent à la réussite, il faut qu’il y ait une bonne participation à ces élections. J’espère que cela va permettre également d’évoluer dans le bon sens pour faire avancer l’Europe.

QUESTION - Monsieur le Chancelier, Monsieur le Président de la République, des économistes de renom, allemands et français, en France M. BOISSONNAT par exemple, craignent une explosion au décollage de la fusée euro. Un tel risque est-il possible ?

M. KOHL - Pouvez-vous répéter ?

LE PRÉSIDENT - L’explosion de la fusée Euro, c’est une image. Ca veut dire explosion de la monnaie unique.

M. KOHL
- Je ne partage pas du tout cet avis. Mais ces jours-ci, j’ai toujours des discours à tenir, et j’ai dû me préparer à un discours important, et j’ai lu que ce que disaient les gourous sur le mark en 1949, et je peux vous dire que c’est assez amusant, les prévisions sur le mark à l’époque ; le mark était mort avant de naître. On s’est beaucoup moqué du mark, on ne lui prévoyait aucun avenir. Jusqu’ici, je n’ai encore trouvé aucun journaliste bienveillant qui s’efforce de voir ce que les économistes allemands disaient dans les universités à l’époque pour la naissance du mark. Il serait intéressant de comparer avec ce que disent aujourd’hui leurs petits enfants. On voit que les choses sont très relatives. On se rapproche à ce moment-là aussi de la réalité sur l’avenir de l’euro.

QUESTION
- Avez-vous évoqué l’idée de confier une mission à Jacques DELORS sur la réforme des institutions européennes ?

LE PRÉSIDENT
- Non, ce sujet n’a pas été évoqué. C’est une idée parmi d’autres, et nous aurons l’occasion d’en reparler le moment venu.

M. KOHL
- Mais si on parle de Jacques DELORS, évidemment, chez moi, cela réveille toujours des sentiments très chaleureux, parce qu’on ne peut pas parler suffisamment de lui ou de moi en Allemagne.

QUESTION
- Monsieur le Président, nous sommes le 7 mai 1998, soit trois ans après votre élection. Est-ce que c’est un heureux hasard que cela se tienne dans des circonstances européennes, et est-ce que le Chancelier KOHL vous a souhaité un bon anniversaire ?

M. KOHL - Oui, je serai ravi de le féliciter, parce qu’il y a de nombreuses réélections en perspective.

LE PRÉSIDENT - Oui, je suis très heureux que cela tombe le jour de notre réunion d’Avignon, et la semaine du sommet de Bruxelles. Il n’est naturellement pas question ici d’évoquer longuement les problèmes de politique intérieure, mais tout de même, cette réalisation de la monnaie unique européenne est quelque chose de tout à fait extraordinaire. Alors je sais bien que c’est le fruit de 30 ou 40 ans d’efforts, et j’ai voulu en porter témoignage en invitant tous les Premiers ministres de la cinquième République hier à déjeuner avec le Premier ministre français à l’Élysée, pour marquer que c’était une suite où chacun, à sa manière, selon les circonstances, avait poursuivi un but commun, et la main dans la main, depuis l’origine, avec l’Allemagne, et en particulier pendant très longtemps avec le Chancelier KOHL. Le fait d’être le Président de la République, qui après les trois dernières années qui ont exigé, naturellement, les efforts les plus intenses -parce que dès qu’on arrive à un objectif, c’est le moment le plus difficile- le fait d’être le Président de la République française qui a eu la chance de vivre cet instant, et qui a vu ainsi couronner notamment un certain nombre d’efforts que les gouvernements et lui-même ont fait, c’est pour moi quelque chose de très émouvant et qui sera sans aucun doute inoubliable.

LE PREMIER MINISTRE - Je ne voudrais pas rester à l’écart de cette célébration, et je voudrais dire qu’il y a trois ans, jour pour jour, j’ai félicité Jacques CHIRAC pour son élection, et qu’aujourd’hui, je me félicite d’être ici pour pouvoir célébrer cet anniversaire.

M. KOHL
- Alors il ne me reste, en tant que spécialiste de la cohabitation, qu’à vous adresser mes félicitations à tous les deux. Puisque je suis véritablement un spécialiste de la cohabitation, je voudrais vraiment vous féliciter.

LE PRÉSIDENT - Merci.

QUESTION
- Merci d’abord d’avoir choisi Avignon et le Vaucluse que vous honorez dans ce sommet franco-allemand. Bravo pour la création de l’euro. Je pense que cela nous évitera beaucoup de dérèglements monétaires à l’avenir, mais une question reste posée, c’est celle de la disparité des prélèvements sociaux, qui n’avantage pas la France, et qui pèse lourdement sur, notamment, l’agriculture vauclusienne. Comment voyez-vous dans l’avenir l’harmonisation au niveau de l’Europe, est-ce que c’est du domaine de la subsidiarité ou est-ce un problème qui sera réglé au niveau européen ?

LE PRÉSIDENT
- Je voudrais dire d’abord au Chancelier que l’éminent journaliste qui vient de s’exprimer est également le fondateur du musée du tire-bouchon ! Et que si tu trouves en Allemagne un tire-bouchon allemand de qualité, il se réjouira beaucoup que tu lui en fasses cadeau et il le mettra dans son musée.

Au-delà de ces préoccupations immédiates, les charges sociales, les décisions en la matière, la fiscalité, tout cela reste du domaine de la compétence des États. Nous avons, en particulier en France, un système social auquel nous sommes profondément attachés et qu’il n’est pas question pour nous de remettre en cause. Ceci étant, il est bien évident que la compétition, beaucoup plus, d’ailleurs que la monnaie, qui ne peut que se développer au sein du marché unique européen comme d’ailleurs sur le plan mondial, conduira forcément, indirectement, c’est-à-dire sous la décision des États concernés, à une harmonisation progressive des conditions de production et d ’exploitation des entreprises. Cela va de soi et ce sera une très bonne chose. Cela prendra du temps.

QUESTION
- Monsieur le Président, Monsieur le Chancelier, je voudrais savoir si vous avez évoqué la future présidence de la Banque Européenne de Développement et de Reconstruction ?

LE PRÉSIDENT - Non, nous ne l’avons pas évoquée. C’est un problème qui n’était pas à l’ordre du jour et qui doit être traité, je crois, dans une quinzaine de jours ou trois semaines, à l’occasion de la réunion de cette banque.

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